Le Concert de Cologne de Keith Jarrett et la logique effectuale théorisée par Saras Sarasvathy
Le 24 janvier 1975, Keith Jarrett monte sur scène à l’Opéra de Cologne pour un concert qui marquera l’histoire du jazz.
Analysé à travers la logique effectuale — selon laquelle les entrepreneurs façonnent l’avenir non pas en suivant un plan prédéfini, mais en réagissant aux ressources et contraintes immédiates — voit Keith Jarrett incarner parfaitement cette philosophie.
La logique effectuale repose sur l’idée que l’innovation se construit en combinant des ressources existantes comme un « patchwork fou » plutôt que selon une vision rigide. Lorsque Keith Jarrett entend les murmures du public, il chante par-dessus la ligne mélodique du piano, métamorphosant progressivement un thème et son accompagnement hypnotique. On a l’impression de se trouver dans l’intimité de son esprit.
Un autre principe clé de l’effectuation est l’acceptation de l’incertitude. Keith Jarrett, face à son Bösendorfer mal réglé, loin de répondre à ses exigences techniques, choisit d’improviser sans savoir où cela le mènera, tout en restant concentré sur son objectif : livrer un concert, tel un pilote dans l’avion qui doit arriver à destination. il illustre ainsi le principe selon lequel la création ne se fait pas par la prévision, mais par l’adaptation en temps réel.
L’acceptation de la « perte acceptable » joue également un rôle crucial. Jarrett ne cherche pas à obtenir un résultat prévisible, mais à minimiser les risques d’échec en s’ajustant continuellement aux imperfections du piano. Il exploite les défauts de l’instrument, notamment les sonorités imparfaites du registre aigu, pour créer une texture sonore unique.
L’aspect de « lemonade », où l’on transforme une contrainte en opportunité, est également évident dans ce concert. Loin de se concentrer sur ce qui ne va pas, il utilise les défauts du piano pour enrichir sa performance, et créer un univers harmonique inédit
Enfin, la surprise joue un rôle essentiel dans cette logique. Annonçant le début de chaque concert à l’Opéra de Cologne, cinq notes retentissent : Sol, Ré, Do, Sol, La. Ce motif, qui aurait pu être ignoré, Jarrett l’intègre immédiatement, faisant de l’inattendu un élément fondateur de son improvisation. Chaque note devient une réponse directe aux circonstances présentes, une improvisation en temps réel, non dictée par un plan.
Près de cinquante ans après, tel un « travailleur de l’incertain », Keith Jarrett nous rappelle que l’innovation créative – qu’elle soit musicale ou entrepreneuriale – réside dans l’art de faire avec ce qui est à portée de main.